L’ÉGLISE ET LES DIVORCÉS REMARIÉS – Quelques réflexions

Intervento al convegno “Familles: fragiltés et Espérance” promosso dalla Diocesi di Orléans.

Au cours du Synode, les Pères synodaux se sont amplement confrontés sur cette question, entre ceux qui mettaient davantage l’accent sur la miséricorde et la charité et ceux qui réaffirmaient la discipline actuelle. Les deux parties n’ont absolument pas remis en question la doctrine de l’indissolubilité, comme le Pape l’a lui-même réaffirmé. Le problème concernait la possibilité ou non d’admettre, dans certains cas et sous certaines conditions, les divorcés remariés aux sacrements. La majorité – même si non qualifiée, à savoir des deux tiers – a jugé opportun que l’on continue de réfléchir en évitant « des solutions uniques ou inspirées par la logique du ‘tout ou rien’ ». À quel point est à présent le débat?

Je crois qu’il est important de procéder progressivement dans un domaine si complexe. La première chose que je voudrais souligner est le changement d’attitude qui s’est produit au sein de l’Église, depuis quelques décennies maintenant, à l’égard des personnes croyantes divorcées et remariées. Il y a une dizaine d’années, ces fidèles étaient en effet considérés comme « ipso facto infames » (CJC 1917, can. 2356). Non seulement ils étaient exclus du sacrement de la Confession et de l’Eucharistie, mais ils étaient également indiqués publiquement comme méprisables : « publice indigne » (can. 855 § 1), sans distinction. Le Code de droit canonique de 1983 s’exprime avec un ton moins fort. Et successivement le Magistère, à différents niveaux, décrit leur situation comme celle de croyants qui appartiennent à l’Église, même s’ils ne le sont pas en pleine communion : « le conjoint remarié se trouve alors en situation d’adultère public et permanent », mais la communauté chrétienne doit « s’abstenir » de juger le for intérieur de leur conscience, où seul Dieu voit et juge. Il ne s’agit pas seulement d’un changement de langage, mais, justement, d’une attitude pastorale qui est certainement beaucoup plus inclusive par rapport au passé.

Il s’agit là, sans aucun doute, d’un changement non indifférent. Et cela nécessite un changement effectif et concret dans la relation de la communauté chrétienne à l’égard de ces personnes.

Cette nouvelle attitude devrait impliquer tous les membres de la communauté chrétienne. Malheureusement, il n’en est pas souvent ainsi. En outre, il y a également une grande dose d’ignorance, parfois même dans le clergé. Il y a, par exemple, des prêtres qui ne donne même pas la communion aux fidèles qui sont divorcés, mais qui ne se sont pas unis à une autre personne. Avec cette attitude, ils contredisent la pratique de l’Église et surtout ils chargent ces fidèles, qui sont déjà accablés par la fatigue d’un échec, d’un fardeau qu’ils ne doivent soutenir en aucun cas. Le Rapport synodal intervient explicitement à cet égard afin d’éloigner définitivement cet abus qui est injustifié et cruel. Il y a quelque temps, l’archevêque d’une grande ville européenne m’a raconté que, s’étant rendu dans un célèbre sanctuaire marial de la ville pour y confesser, il avait reçu la confession d’une femme – une professeure universitaire, séparée de son mari et avec deux enfants, mais non remariée – qui se rendait chaque mois en pèlerinage au sanctuaire, depuis 27 ans, et cette dernière lui avait avoué que le prêtre ne lui permettait pas de prendre la communion parce qu’elle était séparée. Je pense que ce prêtre était évidemment en toute bonne conscience. Mais cela montre l’urgence et l’ampleur du travail à faire dans ce domaine.

La question que nous sommes en train d’affronter est différente : il s’agit de ces fidèles qui se sont remariés après avoir divorcé. Eh bien – comme l’exhorte à l’unanimité le magistère contemporain – nous devons tous avoir une attitude d’accueil à leur égard. Entre autre, nous devons tous être conscients de la souffrance que beaucoup d’entre eux et que leurs familles sont en train d’endurer. Beaucoup d’entre eux ont subi des injustices et beaucoup ne sont simplement pas responsables de ce qui est arrivé. Je crois, en outre, qu’il est opportun d’éviter de créer la catégorie des « divorcés remariés », comme si nous étions face à une liste de cas tous égaux. En vérité, les histoires sont toutes différentes, chacune avec ses nuances et ses peines. Les agents pastoraux, qui dans de nombreux diocèses ont depuis longtemps porté une attention particulière à ces situations, en sont parfaitement conscients. Et les fruits qu’ils recueillent sont nombreux, justement parce qu’ils s’approchent avec soin à chaque situation.

Je crois que la première et la plus urgente des tâches est la suivante : accueillir avec amour ces personnes. Pas seulement par piétisme. Elles font partie de l’Église et elles doivent donc être aimées et soutenues dans un esprit de fraternité. Dans ce contexte, je voudrais au moins dire un mot – il en faudrait beaucoup plus – en faveur de ceux qui, tout en ayant été abandonnés par leur conjoint, n’ont pas entrepris une nouvelle union et sont restés fidèles à la première union, qu’il considère à juste titre indissoluble, au-delà de l’abandon du conjoint. Il s’agit de croyants dont l’exemple nous invite tous à réfléchir. Il s’agit d’un extraordinaire témoignage de fidélité à l’indissolubilité du mariage. Mais il est également vrai que tout le monde ne peut pas vivre de cette façon. En effet, le nombre de divorcés remariés a ainsi augmenté de façon exponentielle. Et l’Église, qui est mère, ne peut pas ne pas s’en charger. Et la première façon de mettre en œuvre cet engagement est d’essayer de les accueillir et de les faire participer à la vie de la communauté.

Sans aucun doute, c’est un grand progrès pastoral que d’être passés de l’accusation de pécheurs publics à déclarer qu’ils font eux aussi partie de la communauté ecclésiale. Mais ne vous semble-t-il pas qu’il est aussi important de considérer également la question de l’accès aux sacrements ? Du reste, dans la discipline actuelle, une telle possibilité est déjà prévue, si l’on respecte certaines conditions.

En effet, la discipline actuelle prévoit que les divorcés remariés peuvent accéder à la Confession et à l’Eucharistie, mais seulement dans les conditions suivantes : si, en conscience, ils s’engagent à vivre sans avoir de relations sexuelles (« comme frère et sœur »), et en prenant soin de ne pas créer la confusion parmi les fidèles qui ne connaissent pas leur choix intérieur ; en bref, dans le secret. Je crois qu’il serait opportun, entre-temps, d’abolir l’exhortation à vivre « comme frère et sœur ». Si, en effet, nous admettons que ces fidèles peuvent continuer leur union de type familial, même si avec un engagement à l’abstinence de la relation strictement conjugale, il faut au moins leur laisser une possibilité raisonnable de « tendresse réciproque » qui n’est pas identique à celle des frères ou des amis. Du reste, les enfants – qui sont dans l’ignorance – en ont besoin.

Cependant, le fait que l’Église considère qu’une telle union, bien qu’irrégulière, peut (voire, dans certains cas, doit) demeurer afin d’éviter des injustices qui sont pires, n’est pas de peu d’importance. Et nous exhortons ces fidèles, précisément parce qu’ils sont membres de l’Église, à participer activement à sa vie : de la fréquence à la Sainte Messe à l’écoute de la Parole de Dieu, des pratiques de piété à la vie de charité, et ainsi de suite. Cependant, ils ne peuvent pas exercer certaines responsabilités ecclésiales : le lecteur, le ministre extraordinaire de la Communion, l’office du catéchiste, le parrain ou la marraine ou être membres du Conseil pastoral. Et ceci parce que ces rôles impliquent un aspect d’exemplarité qui ne s’accorde pas avec leur situation objectivement irrégulière.

Benoît XVI, conscient des problèmes ouverts que laisse l’actuelle discipline canonique, a continué jusqu’à la fin de son pontificat à souligner que le problème est « épineux et complexe », qu’il est « douloureux, et que nous ne possédons pas la recette simple apte à le résoudre », « même parce que les situations sont toujours différentes ». Quand il était cardinal, à ceux qui lui soumettaient des cas complexes, il répondait que le Code de droit canonique ne peut pas contempler l’ensemble des cas. Quant au Pape François, il fait comprendre que l’on ne peut pas dire à ces personnes qu’elles font partie de l’Église pour ensuite les traiter, dans la pratique, comme des  excommuniés ! En bref, il y a matière à réflexion et pour continuer d’aller de l’avant à la recherche de quelques hypothèses qui soient aptes à aider ces fidèles à vivre le Baptême, qu’ils ont reçu et qui les incorporent au Christ, en faisant d’eux des membres de l’Église. Ils ne sont absolument pas « excommuniés », mais rendus « enfants de Dieu ». Ainsi, la théologie du Baptême devrait être approfondie même dans ce contexte.

La « Relatio Synodi » a accueilli l’exhortation des Pères synodaux à réfléchir « sur la possibilité pour les divorcés remariés d’accéder aux sacrements de la Pénitence et de l’Eucharistie ». Qu’en pensez-vous?

Le texte du « Rapport final » du Synode accueille l’avis de la majorité (bien que non pas des deux tiers) des évêques présents à approfondir cette question. Et il ajoute : « L’accès éventuel aux sacrements devrait être précédé par d’un cheminement pénitentiel sous la responsabilité de l’évêque diocésain. La question doit encore être approfondie, en ayant bien présente la distinction entre la situation objective de péché et les circonstances atténuantes, étant donné que « l’imputabilité et la responsabilité d’une action peuvent être diminuées voire supprimées » par divers « facteurs psychiques ou sociaux » (Catéchisme de l’Église catholique, 1735) ».

Il s’agit de paroles qui exhortent avec décision à aller de l’avant dans la recherche de possibles voies en vue d’une solution. Dans la vie de l’Église, il y a toujours eu – et il y aura toujours – des pas en avant qui ont conduit à des changements dans la pratique pastorale, ainsi que des développements de la doctrine. L’Église est vivante et sa foi vit. C’est ce qui est arrivé, par exemple, pour la liberté religieuse au temps de Vatican II, ou pour la doctrine sociale concernant la propriété privée, ainsi que dans le domaine de la morale sexuelle dans le cas de la notion de fin primaire et secondaire du mariage.

Saint Jean XXIII, avec une grande sagesse pastorale, disait à ceux qui le critiquaient pour ses ouvertures: « Ce n’est pas l’Évangile qui change, c’est nous qui le comprenons mieux ». Je suis convaincu que même pour la question que nous sommes en train de traiter il faut procéder dans une telle perspective, à savoir de comprendre la doctrine d’une façon plus approfondie : non pas pour satisfaire la faiblesse envers une attitude de laxisme à l’égard de l’esprit mondain, mais pour éclairer l’action pastorale de façon cohérente avec le sens de la foi. Dans l’Église, le véritable berger aide les fidèles – même ceux qui sont dispersés – à avoir confiance dans le Seigneur : en encourageant la reconnaissance des fautes, mais aussi en soutenant le chemin de conversion.

Quels sont les points fermes de la doctrine de l’Église que personne n’a remis en question au Synode, même en présence de propositions innovantes qui ont suscité la résistance de la part de différents Pères synodaux ?

Le premier point ferme est l’indissolubilité du mariage. Cette doctrine doit être prise au sérieux. Le Nouveau Testament en parle cinq fois : 1Co 7,10-16; Mt 5,31-32; Mt 19,3-12; Mc 10,1-2; Lc 16,18. Et saint Paul le dit clairement : « Quant aux personnes mariées, voici ce que je prescris, non pas moi, mais le Seigneur : que la femme ne se sépare pas de son mari … et que le mari ne répudie pas sa femme » (1Co 7,10). Il n’y a aucun doute que nous sommes confrontés à des paroles qui sont parmi les plus originales du Nouveau Testament. John P. Meier, l’érudit de renom du Jésus historique, affirme que cet interdit évangélique est sans aucun doute parmi les plus paroles les plus certaines de Jésus. Pour un baptisé, il ne peut y avoir d’autre mariage valide que celui qui est sacramentel. L’Église, par conséquent, ne peut pas célébrer un second mariage ou penser à des bénédictions ambiguës d’une nouvelle union. Elle a devant elle une série de devoirs qui proviennent de son Seigneur. La législation canonique prévoit, lorsque l’union est incapable de continuer, la séparation des deux conjoints, mais non pas que ceux-ci puissent se remarier avec d’autres.

Il y a ensuite un deuxième point, non moins important, à savoir la mission de l’Église de « sauver les âmes ». C’est ce que déclare le Code de droit canonique dans son dernier canon, comme à donner la clef de lecture de l’ensemble du système disciplinaire. Je pense qu’il est important de le souligner. La grave responsabilité du salut des âmes – n’oublions pas la grave affirmation de Jésus quand il décrit la volonté de Dieu : « que je ne perde rien de tout ce qu’il m’a donné » (Jn 6,39) – a conduit l’Église, dans le cadre de son histoire, à prendre des mesures importantes dans la perspective du salut comme, par exemple, lorsqu’elle a réadmis dans la communion de l’Église ceux qui avaient renié la foi (les soi-disant lapsi), ou encore quand elle permet d’accéder à la communion, même si l’on est dans un état de péché, mais que l’on s’engage à se confesser dès que possible, et aussi à baptiser les enfants dans la foi de l’Église.

Étant donné ces deux points, ces deux piliers, comment venir en aide à ces fidèles divorcés et remariés qui ne peuvent pas revenir en arrière ? Quels sont les chemins qui peuvent être ouverts au sein de la communauté ecclésiale ? Comment concilier la vérité et la miséricorde, sans créer de confusion et d’égarement au sein du « peuple de Dieu » ?

L’Église ne peut pas proposer des choix alternatifs au message évangélique, ni même établir un droit pour des cas individuels, en faisant appel à une miséricorde générale qui ouvrirait la voie à des formes de subjectivisme non réglementé. En outre, il ne faut pas dévaloriser la valeur du sacrement du mariage, surtout en ce moment. Cela constituerait un dommage à la société elle-même, alors qu’elle est déjà poussée à affaiblir tout lien conjugal solide par une culture qui est hostile à la famille. Cependant, il est évident que le texte synodal suggère de faire un pas en avant par rapport à la façon dont l’Église a tenu ensemble jusqu’à ce jour la vérité et la miséricorde. Il ne s’agit pas de nier la tradition, mais, dans la fidélité, de l’ouvrir à de nouveaux développements.

Je viens de le mentionner, cela est déjà arrivé d’autres fois, aussi bien sur le terrain de la théologie que de la morale. Une meilleure compréhension du contenu de la doctrine est une partie intégrante de la tradition elle-même. En effet, la Tradition n’est pas un monolithe inerte. Elle est plutôt, au contraire, comme un talent qu’il faut faire fructifier ; sa possession paresseuse est susceptible de nous rendre semblables à ce serviteur qui, par crainte et certainement non pas par amour ou par zèle, le cache sous terre, en empêchant ainsi ce qui pourrait être son développement souhaitable. Comment pouvons-nous penser de bloquer une vie qui doit croître et s’élargir ? Il me semble que dans la discussion synodale a émergé un tracé clair de marche à suivre : à savoir éviter à la fois la fermeture totale que l’ouverture indiscriminée. Il ne s‘agit donc pas de trouver une solution générale commune pour tous les divorcés remariés, dont la condition reste incohérente avec l’Évangile. Mais de garder à l’esprit que l’Église est appelée par son Seigneur lui-même à la salus animarum, et non pas seulement des fidèles à plein titre, mais de tous, et donc à accompagner avec patience et avec amour ceux qui demandent un soutien sur le chemin du salut. Par ailleurs, la tradition spirituelle sait bien que l’Église et l’Eucharistie se compénètrent, et que l’appartenance à l’Église et la communion eucharistique peuvent être séparées temporairement, mais non pas pour toujours. Et il faut garder à l’esprit ce que le Pape François affirme dans Evangelii Gaudium : « L’Eucharistie, même si elle constitue la plénitude de la vie sacramentelle, n’est pas un prix destiné aux parfaits, mais un généreux remède et un aliment pour les faibles. Ces convictions ont aussi des conséquences pastorales que nous sommes appelés à considérer avec prudence et audace » (47).

En bref, il me semble qu’à votre avis, le Rapport final du Synode invite à une audace dans la recherche, étant donné le fait que si cette situation reste telle quelle, l’on risque une certaine schizophrénie spirituelle et pastorale.

Sans aucun doute, dans la discipline actuelle de l’Église émergent de nombreuses apories, qui réclament une réflexion plus attentive et une pastorale plus adéquate. Je fais allusion à certaines de ces anomalies. Est-il parfaitement linéaire d’affirmer, par exemple, que la vie chrétienne s’articule autour de la centralité de la célébration des sacrements et en relatitvise ensuite l’importance, en suggérant que les divorcées peuvent toujours faire la communion spirituelle ? Ou encore : est-il possible d’« appartenir à la communauté », tout en étant exclu de façon stable de l’Eucharistie et de la Pénitence ? Et quelle est la valeur des paroles prononcées par Jésus pour les divorcés remariés, à savoir « Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous » (Jn 6,53) ? Comment composer la fermeté de ces paroles de Jésus avec celles de l’Église selon lesquelles les divorcés remariés font de toute façon toujours partie de la communauté chrétienne ? Cela n’est-il pas une anomalie que d’interdire à ces fidèles (bien sûr à ceux qui le désirent et qui sont préparés) d’être des catéchistes s’ils sont ensuite invités à éduquer leurs enfants de façon chrétienne ?

Dans le texte synodal, l’on parle explicitement d’un chemin pénitentiel pour faire accéder les  divorcés remariés à la Pénitence et à l’Eucharistie, sur le modèle des Églises orientales ou des premières communautés chrétiennes. En quoi consiste concrètement cette voie ou ce chemin pénitentiel ? Comment serait-il mis en œuvre dans l’Église ?

Il s’agit certainement d’une voie à parcourir et à approfondir. Avec un groupe de théologiens prévu à cet effet, de juristes et d’experts en pastorale, nous sommes en train d’étudier cette perspective depuis quelques mois. Et nous offrirons bientôt à tous les conclusions de cette recherche. Pendant ce temps, l’on peut dire que la « voie pénitentielle » qui est à l’hypothèse ne pourra être mise en œuvre, de toute façon, que pour des cas particuliers et dans le cadre d’un sérieux chemin de vie chrétienne. Donc, cela ne sera pas pour tous et ne se fera pas de façon indiscriminée, même si c’est ce que l’attente de la part de la presse semble suggérer. Quoi qu’il en soit, je parlerais plutôt d’une via discretionis, à savoir d’un chemin de discernement qui implique également un chemin pénitentiel. Cette voie doit avoir un caractère « public », c’est-à-dire qu’elle doit être accompagnée par l’évêque ou par la personne que ce dernier a nommée. Cela me semble une étape décisive, car il faut éviter tout subjectivisme. Dans ce cadre, il sera possible d’évaluer les intentions du couple et les raisons qui l’ont amené à demander l’accès à cette voie. Dans tous les cas, il est essentiel – comme je l’ai mentionné ci-dessus – que le couple divorcé et remarié qui se présente soit acheminé à une intégration dans la vie de la communauté. Et, dans cette nouvelle vie, il sera accompagné dans un chemin de la vérité afin de reconnaître les éventuelles fautes en relation au mariage qui s’est brisé. Le chemin aura des caractéristiques pénitentielles en cas d’évidentes fautes personnelles qui pourraient surgir. S’il s’agit du conjoint innocent, la voie devra prévoir un chemin qui mène au pardon et à une authentique réconciliation avec un passé chargé de blessures. Je ne vous ferai part que de quelques brèves remarques. Mais une chose est claire : il ne s’agit pas de trouver une règle de base qui soit en mesure de nous dispenser de la grave responsabilité de prendre en charge des situations humaines et spirituelles souvent dramatiques et qui ne sont pas toujours faciles à résoudre.

Quelles autres considérations pouvons-nous faire afin d’éviter la mentalité commune d’une « miséricorde à bon marché » qui n’a aucun engagement sérieux de la part des croyants ?

Cet itinéraire de discernement doit être très sérieux. Il est important, par exemple, que l’on comprenne bien les raisons qui ont porté à l’échec du mariage et que l’on prenne conscience que l’on a trahi un commandement du Seigneur. Seulement alors il est possible de se réconcilier avec ce passé, jusqu’au pardon. Dans un tel itinéraire, l’accompagnement de l’évêque, ou de la personne que ce dernier indiquera, est indispensable. Il est évident que, concernant la valeur à attribuer à la seconde union, il n’est pas possible de parler de sacrement parce que le sacrement reste celui qui a malheureusement été brisé, tout en sachant bien que, de toute façon, l’indissolubilité ne signifie pas l’incorruptibilité, dans le sens d’une infaillibilité métaphysique du résultat, à savoir d’une impossibilité physique de l’échec. Toutefois, l’histoire de l’échec peut aussi s’ouvrir, de fait, à la mise en œuvre d’un lien d’aide réciproque et de soin des enfants qui, même s’il est irrégulier, fait preuve de contenus qui ont une valeur humaine, voire un engagement spirituel, que Familiaris consortio considère comme étant dignes d’être gardés, afin d’éviter des dommages qui pourraient être pires.

Au cours de ces dernières décennies, sur le plan théologique, plusieurs hypothèses de solutions au problème des divorcés remariés et à leur accès aux sacrements ont été soulevées. Quelle est celle qui vous semble la plus appropriée ?

Il y a une précédente réflexion et elle concerne la relation entre la foi des époux et la célébration du mariage. La question a été posée par celui qui était alors le cardinal Ratzinger lorsqu’il avait exhorté à l’affronter sans délai : « De nouvelles études approfondies sont nécessaires pour éclaircir la question de savoir si des chrétiens non croyants – des baptisés qui n’ont jamais cru ou ne croient plus en Dieu – peuvent vraiment contracter un mariage sacramentel ». Avec cette affirmation, Ratzinger mettait en discussion la pratique qui distinguait un mariage valide d’un mariage fructueux. La discipline actuelle estime que lorsque deux baptisés croient en la valeur de la fidélité, de l’indissolubilité et de la fécondité, et qu’ils ont l’intention de faire ce que l’Église croit en célébrant le mariage, ils célèbrent ainsi un sacrement valide. La fécondité pourra venir ensuite dans le temps, grâce à la maturation d’une foi et à une conscience explicite, comme en fait cela arrive souvent. Devenu pape, Ratzinger a continué de réfléchir à cette question. Ainsi, quelques semaines avant sa démission, en parlant aux Auditeurs de la Rote, il a déclaré: « Mais s’il est important de ne pas confondre la question de l’intention (de faire ce que l’Église entend) avec la foi personnelle des contractants, il n’est pas possible de les séparer complètement ». Et, en citant Jean-Paul II, il déclare : « Une attitude des fiancés qui ne tient pas compte de la dimension surnaturelle du mariage ne peut le rendre nul que si elle en affecte la validité sur le plan naturel où se situe le signe sacramentel lui-même ». À la lumière de cette affirmation, le Pape Benoît développe une brillante réflexion, en se demandant si, sans une ouverture à Dieu, il est possible de vivre les exigences de ce même mariage aussi bien naturel que sacramentel. Et il conclut : « Par conséquent, on ne doit donc exclure la considération qu’il puisse y avoir des cas dans lesquels, précisément en raison de l’absence de foi, le bien des conjoints est compromis, c’est-à-dire exclu du consensus lui-même ». Ce sont des paroles précises qui invitent à parcourir encore le chemin de la recherche. Mais nous sommes encore dans la question de la validité ou non du sacrement célébré.

Il y a ensuite l’hypothèse de la via discretionis. Cette hypothèse se déplace entre deux piliers auxquels on ne peut renoncer : d’une part, celui de l’indissolubilité de l’unique mariage sacramentellement valide dans lequel l’Église se réalise et se reconnaît pleinement, et de l’autre, celui de la responsabilité de l’Église pour le salut de ses enfants que le Seigneur a acquis au prix de son sang. Nous ne devons pas oublier que l’Église est surtout l’administratrice et la distributrice de cette grâce, et non pas la régente de la foi que Dieu donne (2 Co 1, 24). Ces deux piliers doivent rester solides afin de soutenir la voûte du pont. Dans ce contexte, il est possible d’identifier les conditions pour mettre en œuvre un acte ecclésial, exceptionnel et non arbitraire, pour ceux qui, après avoir reconnu leur faute d’avoir briser l’union et d’être en situation irrégulière, mais qui est désormais irréversible, montrent cependant la volonté sincère de comprendre les raisons de l’Église et ont l’intention de garder leur foi en Jésus-Christ.

Il s’agit d’un acte ecclésial qui ne doit pas être ni un second rite de mariage, ni une bénédiction plus ou moins équivalente. Cet acte ecclésial devrait être une sorte de « Jubilé » annuel symbolique de la grâce gratis data, que l’évêque concède – non pas de façon automatique – aux fidèles divorcés et remariés qui le demandent afin de soutenir la pénitence nécessaire et encourager l’adhésion possible. Il est évident que demeurent les limites de leur appartenance à l’Église et que, d’une certaine manière, l’Église doit mettre en évidence. Mais, en cohérence avec le précepte solennel que l’Église prescrit pour tous, l’on pourrait leur concéder de s’approcher de la Pénitence et de la Communion sacramentelle « au moins une fois par an », à Pâques, selon la pratique du Jubilé chrétien.

Le chemin de conversion de ces fidèles, qui demandent de progresser dans la séquelle de Jésus, ne devrait pas être un processus automatique, mais justement un itinéraire de conversion que l’évêque lui-même – ou toute personne que ce dernier autorise – devrait éventuellement établir en concédant une telle grâce, comme par exemple, même à la célébration des sacrements de l’initiation chrétienne des enfants.

Cet acte symbolique devrait pousser à réorganiser l’ensemble de la discipline sacramentelle et pénitentielle même par rapport à d’autres péchés « infamants » (l’avortement et l’assassinat, la fraude systématique des travailleurs, la pratique habituelle de la violence familiale, la pratique mafieuse, ..) qui s’opposent à une réception digne de la Communion. Cet aspect de la pastorale est totalement ignoré et, la dureté dans un cas, et un véritable laxisme dans l’autre, me semble vraiment incongrue.

Je tiens également à souligner que, dans l’hypothèse proposée, c’est l’Église qui accomplit le premier pas envers ces frères et sœurs, en rappelant les paroles de saint Ambroise : « Comment celui qui souffre parce que son âme a faim, pourrait-il prier Dieu avec plus d’insistance s’il désespérait de recevoir jamais l’aliment sacré ? ». L’Église, comme le Bon Samaritain, se charge de ces fidèles qui ont des difficultés à marcher, en leur demandant de lui faire confiance et de réfléchir sur leur condition, tout en faisant confiance à la maternité de l’Église. Combien de temps peut durer le chemin entre cette première étape et l’« auberge » où l’on peut se remettre en pleine santé, seul le Seigneur le sait. Mais cela doit nous suffire. Cependant, nous ne pouvons pas laisser ces fidèles pendus à une règle qui, de par sa nature, reste abstraite. Et il n’est pas non plus sage de réaffirmer une norme tout en laissant que d’éventuelles solutions « cachées » continuent de se développer.

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