Mgr Vincenzo Paglia précise les enjeux du prochain synode sur la famille
Entretien Christian Laporte
En octobre prochain, se déroulera à Rome la première phase d’un important synode de l’Eglise catholique sur la famille. Mgr Vincenzo Paglia qui préside le Conseil pontifical pour la famille était à Liège à l’invitation de Mgr Delville. Il a accordé un entretien à “La Libre” sur ses enjeux.
Pourquoi ce synode est-il si important ?
Lorsqu’il a entamé son pontificat, Jean-Paul II avait organisé un synode sur la famille; au début du sien, François refait cette démarche. Pour en montrer l’importance, il l’organise en deux phases. La famille doit être abordée dans toutes ses articulations. Elle est au centre des préoccupations du Pape parce qu’il est urgent de trouver des réponses aux nouveaux défis, en filigrane de la crise sociale et spirituelle actuelle. Cette intelligence pastorale des papes est décisive pour le monde contemporain. Benoît XVI partageait cette préoccupation en me confiant la direction du Conseil pontifical éponyme. Mais la réflexion dépasse le cercle des seuls catholiques. Quand l’Eglise prône la paix, elle ne le fait pas non plus pour ses seules ouailles. Ici, elle doit aider la société à devenir une communauté plus respectueuse de tous. On passe de la petite cellule familiale à la famille des peuples. Cicéron a dit que la famille est le fondement de la ville et en quelque sorte l’école de la république…
Y a-t-il péril en la demeure, selon vous ?
La situation actuelle est paradoxale… Le désir d’avoir une famille reste l’une des grandes priorités du plus grand nombre. Mais beaucoup de liens se relâchent, il y a de plus en plus de ruptures conjugales qui entraînent l’absence d’un des parents. On voit les familles se disperser, se diviser, se recomposer. En outre, le modèle traditionnel de la famille est de plus en plus concurrencé par de nouvelles formes de vie et d’expériences relationnelles qui semblent compatibles avec lui, mais, en réalité, elles le dépècent…
Comment expliquez-vous cette mutation ?
C’est la deuxième révolution de l’individualisme à tous crins. On vit une hyperindividualisation de la société dominée par l’égolâtrie, par la dictature du moi. On veut nous faire croire que nous sommes tous plus libres et autonomes mais, en même temps, on ne nous dit pas que nous sommes tous beaucoup plus seuls. Or, cet hyperindividualisme ne rend de services à personne. Au contraire, il provoque la souffrance de ceux qui se séparent, qui s’éloignent les uns des autres, qui luttent les uns contre les autres.
Mais il y a quand même la réalité de l’échec de nombreux mariages…
Bien sûr. Mais je ne pense pas qu’il faille pour autant relâcher la force et la solidité du lien matrimonial et familial. La vocation de l’homme n’est pas de vivre en solitaire. La crise sociale et spirituelle actuelle montre que la société a besoin d’une famille forte. Si nous désirons une société solidaire, il faut attacher beaucoup plus d’importance, aussi bien dans la politique que dans la culture, à la famille, à cette forme fondamentale de “nous”. C’est là que j’en reviens à la globalisation qui marque notre époque. Au lieu de promouvoir la globalisation de la solidarité, nous risquons de promouvoir celle de l’individualisme. Une société défamiliarisée exclura plus qu’elle n’inclut et l’amour de soi l’emportera sur celui de l’autre. La situation actuelle en Europe et outre-Atlantique doit nous faire réfléchir…
Vous parlez d’une vision à long terme…
Oui, car l’avenir risque d’être compromis si l’on en reste au statu quo. J’aime beaucoup le proverbe qui dit que le paysan qui plante un palmier sait que la génération suivante en cueillera les fruits. Le démantèlement de la famille a aussi des conséquences sociétales graves : 75 % des jeunes qui sont en prison sont issus de familles avec un père absent. Depuis les années 70, on constate aussi la hausse des assuétudes des jeunes dans ce contexte.
Mais le synode ne ratera-t-il pas sa cible en restant dans ce seul cadre ?
Il ne le fera pas ! Il n’y a pas de tabous autour des thématiques que nous aborderons, comme l’a montré la grande consultation préalable : nous replacerons la famille face à la foi, mais aussi autour de la morale. Nous n’esquiverons pas, par exemple, l’éducation des enfants de personnes homosexuelles ou la question des divorcés remariés.
D’autant que les chrétiens de base aimeraient voir évoluer l’attitude de l’Eglise à ce sujet…
Le but du synode ne sera pas de délivrer une nouvelle doctrine, mais de définir de nouvelles attitudes pastorales. L’Eglise doit être plus proche des siens, pas être une institution cléricale. Pour les divorcés remariés, nous pensons qu’il faut faciliter le processus de nullité du mariage. Une rigueur trop étroite ne peut peser sur les épaules de personnes déjà affaiblies. Ne jouons pas les pharisiens : un nouvel accueil à leur égard est dans tous les cas indispensable. Nous devons aller au-delà de la seule perspective éthique et promouvoir une Eglise qui ne travaille pas pour elle mais pour les familles du monde…